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Jean Sibelius, le compositeur qui venait du froid

Antonin, le 04/07/2009
« Dehors, il neige, mais le printemps transparait. La vie s’éveille. Cette vie que j’aime tant,
sentiment dont tout ce que j’écris doit porter l’empreinte.
»
Jean Julius Christian Sibelius

« La musique de Sibelius est tellement hors de ce monde ». Ces mots sont ceux de Herbert von Karajan, lequel est sans doute l’un de ceux qui ont le mieux compris et interprété la musique ce compositeur finlandais, encore relativement méconnu par chez nous. Né en 1865 et mort en 1957, Sibelius eut une vie foisonnante, riche en rencontres et en voyages. Que l’on songe seulement qu’il a pu au cours de sa vie rencontrer Johannes Brahms, Achille Claude Debussy ou encore Gustav Mahler... et bien plus tard entendre ses symphonies enregistrées par Thomas Beecham. Né dans le post romantisme et la fin du XIXe siècle, il verra émerger la modernité musicale, dont il sera l’un des représentant et même la musique contemporaine et l’atonalisme, qui le laisseront sceptique. Ce sentiment fut d’ailleurs partagé, et à une époque la musique de Sibelius subit les attaques d’une certaine avant-garde qui a jeté aux oubliettes tant de compositeurs du passé (certains on pu parler de « dictature du sérialisme »). René Leibowitz, compositeur fervent défenseur du dodécaphonisme (et professeur de Pierre Boulez) ira jusqu’à traiter Sibelius de « plus mauvais compositeur du monde ». Mais Jean Sibelius, tout comme Mahler, s’impose aujourd’hui à nouveau comme l’un des compositeurs majeurs du XXe siècle voire de l’histoire de la musique. Et qui se souvient de René Leibowitz ? Au demeurant, avant cette « éclipse », Sibelius a connu une formidable popularité, admiré dans le monde entier et considéré comme un héros national, une icône même en Finlande et dans les pays du nord. C’est la vie étonnante de ce génie de la musique que nous vous invitons à découvrir.

I. Repères historiques et géographiques

Johan Julius Christian Sibelius nait le 8 décembre 1865 à Tavastehus, en Finlande, une petite ville de garnison à environ 150km au nord d’Helsinki. La Finlande, à cette époque, n’est pas indépendante. Durant le Moyen Age elle fit partie du Royaume de Suède. En 1809, la Finlande est rattachée à la Russie, en tant que Grand Duché (relativement) autonome. La langue finlandaise n’est pas uniformément répandue, et de nombreux Finlandais parlent le suédois. C’est d’ailleurs le cas de la famille dans laquelle nait Sibelius en cette fin d’année 1865. A cette époque, le romantisme a son heure de gloire derrière lui. L’Europe entière est touchée par l’influence de Wagner, à laquelle Sibelius n’échappera pas non plus. La musique cherche de nouvelles voies. Le destin va l’y aider : en 5 ans, de 1860 à 1865, vont naitre 6 compositeurs qui seront parmi les artisans du renouveau musical du XXe siècle : Mahler (1860), Debussy (1862), Richard Strauss (1864) et en 1865 : Paul Dukas, Magnard, Carl Nielsen le danois (le même jour que Magnard !) et enfin Sibelius. Encore 20 ans pour leur laisser de temps d’étudier et de mûrir, et ces hommes transformeront le paysage musical du siècle à venir.

La deuxième moitié du XIXe siècle est aussi celle du réveil des nationalismes. Partout, les artistes œuvrent à faire reconnaitre leur culture nationale afin de favoriser l’indépendance de leur pays (voir à ce sujet le dossier sur la musique tchèque). La Finlande, tour à tour contrôlée par ses puissants voisins et menacée par une langue qui n’est pas la sienne, ne fait pas exception. Runeberg (1804-1877), le plus important poète Finlandais du XIXe siècle était d’expression suédoise. Dans ce contexte, le travail d’un homme va avoir une influence décisive sur l’évolution culturelle de la Finlande. C’est Elias Lönnrot, un simple fils de tailleur, qui entreprit de nombreux voyages partout en Finlande pour recenser divers poèmes et mythes de la culture Finlandaise. Il les refondit dans une grande épopée épique, sur le modèle de l’Iliade d’Homère : le Kalevala. L’influence de cet ouvrage (ce recueil, plutôt) sera considérable sur toute la culture finlandaise. Sibelius lui-même y trouvera l’inspiration de plusieurs de ses chefs d’œuvres.

II. Jeunesse et débuts de compositeur

Sibelius, comme beaucoup de jeunes gens de la bonne société de l’époque, commença ses études par le droit. Il montre très tôt déjà une grande sensibilité à la musique. Apres son droit (qu’il a en réalité rapidement abandonné), il étudie le violon à l’Institut de musique d’Helsinki, et espère devenir soliste (comme Dimitri Chostakovitch espérait devenir pianiste avant de s’orienter vers la composition). Durant ses études, le jeune homme compose de la musique de chambre et diverses pièces, sans grand intérêt et pour la plus part oubliées. Mais il va d’un seul coup trouver sa voie (de symphoniste) et acquérir une grande renommée avec son opus 7, « Kullervo » (1892). C’est une symphonie-cantate, en 5 mouvements, dont le programme est directement issu du Kalevala. Elle conte l’histoire tragique de Kullervo, un héros comparable à Hamlet et œdipe, qui âpres avoir tué son frère et violé sa sœur (par erreur, mais tout de même.), se suicide. La musique de Sibelius, puissante et évocatrice, remporte immédiatement un vif succès. La Finlande qui recherche son identité et son indépendance culturelle ainsi que politique acclame cette œuvre pour sa valeur nationaliste. Sibelius est projeté directement de l’anonymat à la célébrité. C’est une année prolifique pour le Jean, puisqu’il se marie le 10 juin avec Aino Järnefelt. Cette même année Sibelius compose encore En Saga, Op. 9, son premier poème symphonique. Ce type d’œuvre va constituer par la suite une part importante de sa production et de ses œuvres majeures. Nous reviendrons à l’analyse de l’opus 9 lorsque le compositeur le remaniera, en 1901. En 1895, Sibelius continue de glisser sur la vague mythologique avec la Suite de Lemminkäinen (Op. 22), qui met encore une fois des légendes nationales en musique. Dans cette suite de 4 pièces pour orchestre se trouve le fameux Cygne de Tuonela, l’un des morceaux les plus célèbres de Sibelius, souvent joué indépendamment tel un poème symphonique (d’ailleurs le Cygne de Tuonela est antérieur au reste du cycle, sa composition date de 1893).

Avec ses diverses pièces, Sibelius a trouvé son mode d’expression privilégié : l’orchestre. S’il commence à cette période d’écrire des mélodies avec piano (dont certaines sont des merveilles) sa musique pour piano restera anecdotique tout au long de son œuvre (quoique comportant certaines pièces remarquables), et sa musique de chambre peu fournie. Fasciné par l’univers Wagnérien, Sibelius envisage d’écrire lui aussi des opéras « mythologiques » à la Wagner, en s’inspirant encore une fois de la mythologie scandinave. De ce projet ne subsiste que le prélude : le fameux Cygne de Tuonela. Par la suite, La jeune fille dans la tour, en 1897 sera son seul opéra, œuvre courte de 35 minutes bien loin de Richard Wagner, au livret sans intérêt. Sibelius dira plus tard « je n’aime pas l’opéra, ou plutôt l’opéra ne m’aime pas », et il refusera de nombreux livrets.

En 1897 aussi, grâce à sa notoriété croissante et notamment son ami Kajanus, Sibelius se voit attribuer une pension de 3000 marks du gouvernement. Cet argent doit lui permettre de se consacrer à son activité artistique sans devoir chercher sa subsistance. Il ne suffit toutefois à éponger les dettes du compositeur. C’est en effet un bon vivant, et il est atteint de ce qu’on pourrait appeler le vice du jeu, au grand dam de son épouse. Bien qu’assez aisés, les Sibelius ne seront jamais tout à fait à l’abri des problèmes d’argent.

Sibelius voyage beaucoup, en particulier en Allemagne et en Italie, il se rend à Berlin et Bayreuth, ou il assiste à des représentations d’opéras de Wagner. En 1898, il commence à travailler sérieusement sur sa Première symphonie, qu’il achève l’année suivante. Sa facture est classique, en 4 mouvements, et son langage encore très marqué par le romantisme. Néanmoins, Sibelius marque déjà son originalité et démontre d’une exceptionnelle maitrise de l’orchestre. Les mouvements extrêmes sont les plus intéressants, avec leur façon de faire s’entrechoquer les masses orchestrales, art que développera par la suite Sibelius. La création remporte un triomphe, avec cette œuvre la notoriété de Sibelius commence à dépasser les frontières de la Finlande.

À l’intérieur, la musique de Sibelius conserve son fort pouvoir patriotique qui enflamme le public. En effet cette même année, le Tsar Nicolas II signe le « manifeste de février », qui retire au parlement finlandais une partie de ses pouvoirs législatifs, réduisant d’autant l’autonomie du Grand Duché. Le concert de la création de la Première symphonie voit aussi l’exécution du Chant des Athéniens, sorte d’hymne à la liberté dont le sujet apparemment éloigné ne trompe personne, c’est une œuvre ouvertement patriotique et le public l’accueille comme tel. La résistance nationaliste s’organise peu à peu en Finlande, mais jamais de manière violente. À la fin de l’année sont organisées des « célébrations de la presse » qui ont pour but de faire acte d’indépendance vis-à -vis du pouvoir russe. Sibelius participe en composant des pièces orchestrales qui doivent accompagner les tableaux historiques représentés au théâtre.

L’une de ces pièces est Finlandia, qui devient rapidement le second hymne national et acquiert une immense popularité. Le thème dramatique du début de l’œuvre évoque l’oppression russe, et fait ensuite place à une marche vaillante qui symbolise la résistance des finlandais. Vient alors l’hymne proprement dit, une sorte de lent choral serein et plein d’espoir. Enfin, la marche reprend de plus belle pour arriver à un final victorieux. En dehors de son caractère historique, la pièce est l’une des plus jouées de Sibelius ; il en existe en outre plusieurs versions, l’une avec chœur, et une autre arrangée dans les années 40 sur demande de la grande basse finlandais Kim Borg, pour basse et piano. Porté par la voix de ce dernier, l’hymne est encore d’une émotion plus intense (il en existe un enregistrement poignant de l’époque, quand justement la Finlande se défendait, par les armes cette fois, contre l’invasion soviétique, voir la discographie ci après).

III. La célébrité

Sibelius aborde le nouveau siècle et l’année 1900 de manière sereine. Bien que jeune, il est déjà très populaire. Il a finit par se rendre à l’avis de sa femme, à savoir que la vie en ville ne lui convient pas : elle représente trop de tentations. Combien de fois Aïno avait elle attendu, anxieuse, qu’il rentre de quelque bouge où il avait passé la nuit, buvant et perdant de l’argent au jeu. Pour une meilleure hygiène de vie, la famille Sibelius quitte donc la capitale pour Kevara, quelques kilomètres en dehors de la ville. Bien qu’ayant connu des débuts difficiles, le couple s’est soudé. Aïno fait preuve de grande qualités de force morale, et quand bien même son mari désire rester relativement indépendant et dépense sans compter, elle le soutiendra toujours. De leur union vont naitre 6 filles. Aïno restera avec Jean pendant 65 ans, et elle vivra encore en 1965 pour assister aux cérémonies des 100 ans de la naissance de son mari.

L’événement important de la première année du siècle est l’exposition Universelle de Paris. La Finlande, fière de son renouveau artistique se doit évidement d’y participer, et Sibelius, en tant que compositeur national, est mis à contribution. Avec Kajanus il met au point deux programmes de concerts comportant ses œuvres les plus importantes comme la Première symphonie et Finlandia. Le public français reçoit favorablement la musique de Sibelius, toutefois les concerts sont en quelque sorte noyés dans le flot de manifestations culturelles. De plus, Paris en été se dépeuple de tout son gratin qui va chercher la fraicheur à la campagne, et les principaux compositeurs français de l’époque ne sont pas présents à ces concerts. Toutefois Sibelius est satisfait des bonnes critiques qu’il reçoit.

Il passe l’année en voyages : Berlin, l’Italie, un passage par Prague (où il fut cordialement accueilli par Antonin Dvorak et Josef Suk). Le séjour en Italie a une influence importante sur la gestion de la 2e symphonie, dont le climat positif et « ensoleillé » porte sans doute la marque des paysages alpestres de la villa dans laquelle le compositeur séjourne. Sibelius envisage un moment une œuvre à programme sur Don Juan, mais finalement change d’avis. La symphonie est toujours basée sur le modèle classique en quatre mouvements, mais son matériau est résolument novateur, notamment dans la façon d’organiser les thèmes. Les fondements de l’écriture symphonique de Sibelius apparaissent ici. De larges thèmes, énoncés brièvement, et se transformant en d’autres plus que se développant. Sibelius joue souvent sur l’opposition entre le bloc des cordes et celui des cuivres. La nouvelle symphonie est crée en mars 1902, à Helsinki. Elle remporte immédiatement un succès populaire impressionnant, dépassant de loin celui de Finlandia, et jamais démentit jusqu’à nos jours.

Véritable phénomène en Finlande (où le romantisme de la Deuxième symphonie exacerbe les pulsions nationalistes), Sibelius commence à etre joué en Europe, principalement en Allemagne et en Angleterre. Sibelius repart rapidement en voyage, dirigeant son En Saga à la tête du (déjà ) prestigieux Orchestre Philharmonique de Berlin. Le légendaire Wilhelm Furtwängler en enregistrera une version mémorable à la tête du même orchestre, exactement 40 ans plus tard. Ce poème symphonique, dont le titre n’est pas en français contrairement aux apparences, signifie « une légende ». Il n’y a pas de programme clair, Sibelius semble plutôt avoir cherché à créer une ambiance propice à laisser s’envoler l’imagination de l’auditeur, avec une mélodie fluctuante et des thèmes contemplatifs. Dans sa version remaniée (la seule utilisée aujourd’hui), l’œuvre présente un fort pouvoir évocateur. A la fin de l’année 1902, le compositeur finlandais met en musique un texte écrit par le frère d’Aïno : « Kueolema » (La mort). De cette partition, la postérité retiendra la célébrissime Valse triste, qui est incontestablement le « tube » le plus connu de Sibelius. L’œuvre, plaisante à l’écoute, n’est toutefois pas (et de loin) la meilleure expression du génie de son auteur. Ce génie va trouver à s’exprimer dans une œuvre qui deviendra, elle aussi, célébrissime : c’est le concerto pour violon Op. 47.

Sibelius avait lui-même suivi une formation de violoniste, et avait rêvé de faire une carrière de soliste international. Ce concerto est en quelque sorte une revanche sur le violon, puisque le jeune Sibelius avait du renoncer à la carrière de soliste. La connaissance qu’avait le compositeur de l’instrument est sans doute pour part dans la grande difficulté de la partition pour l’interprète. Sibelius mit du temps pour écrire l’œuvre, qui lui posa de nombreux problèmes. Il y travailla au cours des années 1903/1904, l’œuvre étant finalement crée le 8 février 1904, toujours à Helsinki et sous la baguette du compositeur. Le succès est mitigé (peut etre à cause du violoniste dont on dit qu’il ne fut pas à la hauteur de la partition) mais il augmentera progressivement, jusqu’à faire de l’œuvre le concerto composé au XXe siècle le plus enregistré. Il est intéressant de noter que la tonalité de l’œuvre est ré mineur, alors que les concertos de Ludwig van Beethoven et de Brahms sont en ré majeur (concerto de Beethoven qui est antérieur de près de 100 ans). Sibelius a su habilement se démarquer de ses glorieux prédécesseurs en bâtissant une œuvre profondément originale et personnelle. Le premier thème énoncé au violon, dépouillé et méditatif, est très célèbre. L’impression qui s’en dégage est celle d’une musique tellurique, hors du temps.

À la fin de l’année 1904, Sibelius et sa famille déménagent et s’installent à "Ainola" (du prénom d’Aïno, sa femme) belle maison bâtie en pleine campagne, aux milieux des arbres, et dans laquelle Sibelius restera jusqu’à la fin de ses jours. La maison devint d’ailleurs l’un des symboles du musicien, presque un lieu de pèlerinage pour les admirateurs (Herbert von Karajan notamment s’y rendit pour se recueillir sur la tombe du maitre). Au début de l’année 1905, Ferruccio Busoni, célèbre pianiste et compositeur italien, et ami de Sibelius, invita ce dernier à diriger sa Deuxième symphonie à Berlin. L’œuvre devint immédiatement célèbre en Allemagne. Sibelius, toujours curieux intellectuellement, en profita pour découvrir des œuvres de Mahler et Debussy. En juin de la même année, Sibelius remania notoirement son concerto pour violon, qui fut joué avec grand succès à Berlin sous la direction de Richard Strauss (la version originale a été enregistrée par Osmö Vänska, voir discographie).

L’année 1906 est moins productive, Sibelius rencontrant quelques difficultés dans la composition de sa Troisième symphonie. A la fin de l’année, le poème symphonique La fille de Pohjola Op. 49, l’un de ses plus réussis, est créé avec succès. Le programme est à nouveau inspiré du Kalevala. En 1907, Sibelius termine enfin sa Troisième symphonie Op. 52. L’accueil en est, semble-t-il, mesuré. Sa fraicheur classique, et son effectif plutôt Beethovenien, on peut etre déconcerté le public du jeune siècle, habitué aux audaces de Debussy et Mahler, et à la modernité dont Sibelius lui-même avait fait preuve dans ses œuvres précédentes. La partition n’en recèle par moins de grandes beautés, avec une grande clarté des plans musicaux et une superbe polyphonie.

IV. Ombres et doutes

Bien que maintenant célèbre et adulé, Sibelius va traverser une période plus sombre. Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu des ennuis de santé. Se plaignant de douleurs à la gorge, le compositeur finlandais consulte une spécialiste berlinois. Une tumeur lui est retirée, et il lui est interdit de boire et de fumer. Sibelius va respecter ces prescriptions quelques années, ce qui lui sera sans conteste bénéfique. Plusieurs chefs d’œuvres vont naitre dans cette période, qui porteront la marque de l’état d’esprit plus sombre de Sibelius.

En mars 1909, Sibelius est en voyage à Londres où il rencontre Claude Debussy, venu diriger certaines de ses œuvres. Cette rencontre conforte Sibelius dans ses choix stylistiques, à une période où certaines voix dissidentes commencent à se faire entendre, par exemple Arnold Schönberg à Vienne. A cette époque, le compositeur finlandais termine son unique quatuor à cordes, intitulé Voces Intimae Op. 56 (« voix intimes »). Sibelius n’était pas un grand chambriste, néanmoins ce quatuor sort du lot, et traduit parfaitement l’état d’esprit du compositeur à cette époque. L’évolution de son style s’amorce alors (quittant le post romantisme de ses débuts) et se poursuit dans la Quatrième Symphonie. Celle-ci déconcerte beaucoup le public à sa création en 1911, public habitué au Sibelius exubérant des deux premières symphonies et de Finlandia. La Quatrième symphonie Op. 63 possède un climat bien plus intime et renfermé ; elle est une sorte de médiation intérieure et grave, d’un langage très dépouillé. L’accueil est très mitigé, et l’œuvre mit du temps à s’imposer (comme c’est parfois le cas de certains chefs d’œuvres mal compris à l’origine, ainsi le premier concerto pour piano de Brahms, ou le désormais célébrissime Carmen de Bizet). Les années suivantes, fidèle à ses habitudes, Sibelius continue ses voyages à travers l’Europe, toujours avide de nouvelles rencontres et de nouvelles découvertes musicales : on le voit à Berlin, Paris, Londres, mais aussi dans les pays nordiques qui lui font toujours très bon accueil. L’année 1913 voit la création de deux poèmes symphoniques, genre dans lequel Sibelius excelle. D’abord Le Barde Op. 64 partition dont le climat se rapproche de celui de la Quatrième symphonie et encore une fois inspiré du Kalevala, puis l’incontournable Luonnotar Op. 70. Ce poème symphonique pour voix et orchestre, dont l’argument est toujours inspiré du Kalevala, nous emmènes dans les profondeurs des temps, décrivant la création du monde. Le trémolo des cordes graves qui l’ouvre est un pur instant de grâce. Les jeux de timbres et de couleurs confèrent à toute la partition une profondeur envoutante. Assurément l’un des chefs d’œuvres du compositeur.

En 1914, Sibelius est invité à une tournée aux États-Unis. Il est déjà très connu à l’international, et les américains lui font un accueil triomphal dans chaque ville où il donne un concert. Il se voit même décerner le titre de Docteur honoris causa par l’Université de Yale.

De retour dans sa Finlande bien aimée, Sibelius travaille à sa Cinquième symphonie Op. 84, travail qui prend du retard et le compositeur peine à progresser dans son travail, en proie à des questionnements esthétiques qui iront en se renforçant. La symphonie est finalement créée à l’occasion des festivités marquant le cinquantième anniversaire de Sibelius, le 8 décembre 1915. Mais aux doutes esthétiques se superposent bientôt la stupeur et l’effroi devant la folie qui s’est emparée de l’Europe. Si la Finlande reste à l’écart du conflit initial, elle sera rattrapée plus tard, suite à la révolution bolchévique de 1917. Une grande agitation atteint alors les milieux politiques finlandais qui se divisent entre gardes rouges (sociaux-démocrates) et blancs (conservateurs). La présence de soldats russes restant encore sur le territoire finlandais renforce le désordre, et une guerre civile éclate en 1918. La Finlande vit alors des heures sombres, et Sibelius lui-même croit plusieurs foi sa fin arrivée, sa famille et lui subissant privations et fouilles brutales. Finalement, le général Mannerheim, commandant de l’armée « blanche » (et futur président de la Finlande indépendante), triomphe des « rouges » en avril 1918, et le calme revient peu à peu.

V. Le sommet esthétique : les derniers chefs-d’œuvres

Pendant cette période tragique, Sibelius ne compose que des œuvres d’importance secondaire, mais il continue de travailler sur la Cinquième symphonie. En effet, malgré le succès initial, Sibelius n’est pas satisfait et remanie l’œuvre, dont la deuxième version est donnée en 1916. Devant la réaction critique mitigée, Sibelius reprend son travail pour aboutir à la version définitive, crée en 1919, qui sera celle retenue par la postérité. C’est peut etre, avec la Deuxième, la symphonie la plus populaire de Sibelius. Le ton alternativement rêveur et lyrique de l’œuvre emporte l’auditeur dans une autre dimension, un autre monde.

La paix revenue, Sibelius peut de nouveau se consacrer à ses activités favorites : composer et voyager. Il reprend ses tournées en Europe, dirigeant sa musique avec grand succès, notamment au Royaume Uni. Sa Cinquième symphonie connait un vif plébiscite. Toutefois aucune composition d’envergure ne marque cette période. Ce n’est qu’au début 1923, le 19 février exactement, que Jean Sibelius présente au public finnois sa Sixième symphonie Op. 104. C’est, selon ses dires, la dernière fois qu’il dirige en Finlande. Cette symphonie se présente comme un hymne passionné à la nature, mais de manière différente aux autres œuvres de Sibelius. Ici aucun déchainement tellurique, pas de voyage dans les contrées glacées. La musique se fait plus intime, plus douce et empreinte de délicatesse, avec une grande importance des cordes.

L’année suivante, Sibelius se rend à nouveau en Italie, pays qui semble avoir un effet vivifiant sur ses facultés créatrices (comme cela avait été le cas pour la Deuxième symphonie). En effet, fin mars 1924 la Fantasia Sinfonica Op. 105 est achevée. Cette œuvre, qui prendra le titre définitif de Septième symphonie, est créée par Sibelius lui-même à Stockholm. Le compositeur, qui a toujours montré des affinités avec ses voisins du nord, la dirige encore à Copenhague où il fait sensation. Aux États-Unis, les grands chefs comme Stokowski et Koussevitzki s’emparent immédiatement de la partition. La symphonie se présente en un unique mouvement d’une vingtaine de minutes. Sa structure est difficile à appréhender : fluide, mobile, le flux orchestral s’enroule et se déroule, les thèmes naissent les uns des autres, s’enchainant sans rupture palpable. Le langage est à la fois dépouillé et extrêmement expressif. Sibelius atteint ici les sommets de son art du développement et de l’architecture. La musique nous fait vivre un formidable voyage hors du temps, dans des espaces infinis, et l’on a bien du mal à revenir à la réalité après le dernier accord.

En 1925, c’est toute la Scandinavie qui fêta le soixantième anniversaire de celui qui est devenu l’emblème de l’âme nordique. Les félicitations venant du monde entier à cette occasion prouvent l’extraordinaire renommée de Sibelius de par le monde. Son ami le chef d’orchestre Kajanus dirige comme d’habitude un concert en son honneur. Le même Kajanus créé la Septième symphonie en Finlande, en 1927.

Sibelius a déjà écrit plusieurs musiques de scène, et en 1925 le Théâtre Royal de Copenhague lui demande d’en composer une pour la représentation de la dernière pièce de Shakespeare, La Tempête. Déjà 25 ans auparavant, en 1901, un ami a dit à Sibelius « La Tempête est faite pour vous ». Sibelius finit donc par accepter et se met à l’ouvrage. Ainsi naît la musique de scène La Tempête Op. 109. Le compositeur, selon l’usage, en tire ensuite deux suites de concert. Comprenant une trentaine de morceaux, l’œuvre comporte des parties chantées et nécessite un orchestre important. L’ouverture, qui représente la tempête elle-même, est constituée de flux musicaux s’entrechoquant tels les éléments, sans mélodie, et d’effets puissamment évocateurs. Il est difficile de décrire l’œuvre sans entrer dans les détails de la pièce de Shakespeare (qui, fidèle à son auteur, est complexe) mais La Tempête fait montre de toute l’inventivité, de la variété et du génie orchestral de Sibelius. La création a lieu en mars 1926 à Copenhague, en l’absence du compositeur.

Peu avant, en janvier 1926, Sibelius reçoit un télégramme surprenant. La Symphony Society de New York (à l’origine de la construction de Carnegie Hall) lui fait la commande d’un poème symphonique, laissant au compositeur liberté totale en matière de forme et de sujet : cette commande prouve bien la popularité qui était celle de Sibelius aux États-Unis. Le compositeur accepte immédiatement, et se met à la tâche. Peu après, il part à nouveau pour l’Italie. La nouvelle œuvre prend le nom de Tapiola Op. 112. Tapio, dans la mythologie finlandaise (source récurrente, comme on l’a vu, de l’inspiration de Sibelius) est la divinité suprême de la forêt. Le suffixe « la » signifie « maison », « demeure » on peut donc traduire ce titre par « la demeure de Tapio ». Pressé par son éditeur allemand, Breitkof et Härtel, Sibelius lui envoie un premier manuscrit en aout. Mais il est à nouveaux assailli d’angoisses et de doutes, sentiments qui iront en aggravant. Il ordonne finalement un mois plus tard l’arrêt des travaux d’impressions, car il souhaite réviser la partition. Sibelius (ses notes intimes le montrent) semble avoir le sentiment que son travail lui échappe : il a toujours gardé le contrôle sur ses productions, assurant le plus souvent la création lui-même sur des partitions non définitives, se gardant la possibilité de les modifier (ce que, rappelons le, il fera souvent, par exemple pour le concerto pour violon ou la Cinquième symphonie).Cette fois ci, la partition doit etre éditée et envoyée aux États-Unis pour la création : non seulement Sibelius ne la dirigera pas mais il en sera absent. Ses angoisses sont cependant distraites par un engagement à diriger un concert de sa musique au Danemark, dernière fois qu’il dirige un concert de sa vie.

À son retour chez lui, à Ainola, Sibelius se remet devant sa table de composition et sa partition de Tapiola. Par chance, il réussit à trancher dans ses questionnements esthétiques, et envoie finalement la partition révisée à son éditeur. Comme nous le verrons plus loin, la Huitième symphonie aura moins de chance. Rapidement expédiée en Amérique, la pièce est crée le 26 décembre 1926 à New York, par Walter Damrosch, président et fils du fondateur de la Symphony Society. Sibelius a souhaité une introduction et explication écrite de son œuvre, et il a été aidé dans la rédaction par son éditeur. C’est ainsi qu’en prélude au concert, Damrosch peut lire ce texte fortement évocateur : « Nous voyons et nous sentons les forêts infinies de couleur vert sombre, nous entendons les hurlements du vent et ses sonorités venues du pôle Nord lui-même, à travers ces éléments nous percevons les ombres fantomatiques des dieux et les créatures étranges de la mythologie nordique, murmurant leurs secrets et se livrant à leurs danses mystiques parmi les branches et les arbres. » Texte qui n’est en réalité que l’adaptation du quatrain de Breitkopf et Härtel :

« Là s’étendent du Nord les vieilles forêts sombres,
Mystérieuses en leurs songes farouches ;
Et abritent la grande Divinité des bois,
Les Sylvains familiers s’agitent dans leurs ombres »


Ce quatrain, approuvé par Sibelius, est destiné à expliciter le titre (certes difficile à comprendre pour qui n’est pas familier avec la mythologie et la langue finnoise). Il accompagne la partition, rédigé en allemand, français et anglais.

Ces indications de programme ne sauraient toutefois rendre compte de l’atmosphère glaçante de l’œuvre. On ne voit pas la forêt immense et glaciale du Nord : on y est transporté. Le vent hurle, les branches craquent (cordes mouvantes). Chaque ombre se fait menaçante. Une danse des esprits de la forêt parsème l’obscurité de lueurs angoissantes. Soudain, une rencontre glaçante, cataclysmique (explosion de cuivres) ’ peut être le dieu Tapio lui-même ? La frayeur emplit la forêt (aigus des cordes) puis passe, peu à peu. Le vent glacial reprend, recouvrant la forêt d’un voile (long accord à l’unisson des cordes). Vingt minutes extraordinaires, aux confins du Nord et de la solitude, dont nul ne sort indemne. Un musicologue et biographe de Sibelius devait affirmer « même si Sibelius n’avait rien écrit d’autre, cette œuvre lui assurerait à elle seule une place parmi les plus grands maitres de tous les temps » .

Le succès de l’œuvre est immédiat, même si certains critiques restent sceptiques : il est vrai que Tapiola peut etre difficile à l’écoute, et nécessite une réelle concentration et une attention soutenue de la part de l’auditeur. Celle-ci acquise, l’immersion est totale, passionnante et glaçante.

Cette œuvre dévoile la quintessence de l’œuvre de Sibelius. Un sens inné du rythme, une science ensorcelante du maniement des timbres, une maîtrise totale de l’orchestre.

VI. Le "grand silence" et la Huitième symphonie

C’est un fait, Tapiola est le dernier chef d’œuvre de Sibelius, et quasiment sa dernière œuvre (il ne composera plus que quelques pièces mineures pour de petites formations). Cependant, Tapiola a été créé en 1926. Or Jean Sibelius est décédé en... 1957 ! Cette période de silence artistique ne cesse d’etre commentée et de passionner musicologues et biographes. Certains ouvrages biographiques « courts » abordent cette période en quelques pages. Tandis que d’autres auteurs (voir notamment le livre de Marc Vignal chez Fayard) y consacrent des centaines. Cette dichotomie s’explique par une différence de point de vue. D’un point de vue artistique, Sibelius n’a plus rien produit dans cette période. Mais d’un point de vue biographique, sa carrière n’a cessé de prendre de l’ampleur, notamment (et peut-être paradoxalement) sans son intervention directe.

Il est difficile de s’imaginer aujourd’hui, alors que Sibelius commence doucement à ressortir de l’ombre, l’engouement existant pour sa musique dans les années 30 et 40. De nombreux chefs d’orchestres, alors figures majeures de la vie musicale de l’époque, prennent partit pour lui. Le vénérable Sir Thomas Beecham, l’un des premiers partisans du compositeur finlandais, convainc His Master Voice (La voix de son Maître, ancêtre d’EMI) de créer une « Sibelius society » afin d’enregistrer les œuvres du compositeur. Le producteur Walter Legge (qui allait devenir célèbre après la guerre) participe a cette entreprise. Ainsi, très tôt, les symphonies sont enregistrées par Beecham, Kajanus, Koussevitzki. Ce dernier, alors directeur musical à Boston et chef du prestigieux BSO, attend des années durant la Huitième symphonie de Sibelius. Celle-ci ne vint pas. A travers leur correspondance régulière, Koussevitzki (qui fut le premier à enregistrer la Septième symphonie) presse Sibelius de lui faire part de l’avancement de la composition, afin qu’il puisse en programmer la création. Ainsi la Huitième symphonie de Sibelius apparait au programme prévisionnel du Boston Symphony Orchestra plusieurs années d’affilée, mais à chaque fois Sibelius s’excuse par lettre et repousse l’échéance. Le compositeur est à nouveau assailli de doutes esthétiques et philosophiques, alors qu’il assiste au développement des musiques « nouvelles » (dodécaphonisme). Il pense avoir atteint son sommet avec la Septième symphonie et Tapiola, et n’imagine pas écrire une œuvre supplémentaire pour le simple besoin de la commande : il lui faut se dépasser, ou s’abstenir. Il semble aujourd’hui avéré que la Huitième symphonie a existé. Dans l’esprit de Sibelius, c’est même certain, il l’a lui-même très clairement dit dans certaines lettres. Sur le papier, des esquisses, voire la totalité de l’œuvre, ont sans doute existé, mais Sibelius les a détruites par la suite. La pression que subit Sibelius à cette époque, conséquence de sa notoriété, joue sans doute également un rôle dans ses hésitations. Plusieurs de ses œuvres précédentes ont déjà été accouchées dans la douleur. Cette fois ci, Sibelius, qui se sent vieillir (il a près de 70 ans) ne surmontera pas ses démons intérieurs. Peu à peu Koussevitzki, sans tout à fait réussir à cacher sa déception, abandonne, et l’affaire en reste là . Toutefois la notoriété de Sibelius n’en pâtit pas. Pour son 70e anniversaire, ce n’est pas la fête d’un compositeur apprécié qui est organisée, mais plutôt celle d’une idole vivante. Les chefs d’Etat de tout les pays scandinaves sont présents. La Finlande célèbre le compositeur comme un héros national. Des télégrammes de félicitations sont adressé par des personnalités du monde entier : parmi celles-ci, Wilhelm Furtwängler.

Sibelius, fêté et admiré, continue ainsi sa vie tranquille dans son havre de paix, à Ainola, aux cotés de sa chère Aino. En décembre 1939, il dirige pour la radio finlandaise son œuvre Andante festivo. Cet enregistrement, transmis en direct aux États-Unis, reste aujourd’hui le seul que nous possédions du compositeur dirigeant sa musique. On y découvre les qualités d’un grand chef : précision, rigueur, émotion (voir discographie).

La Finlande connait des heures difficiles au cours de la Seconde Guerre Mondiale, opposée à l’ennemi traditionnel et impérialiste, la Russie soviétique. Alliée de facto de l’Allemagne, la Finlande ne le sera que forcée par les événements. Et les Alliés ne la considérèrent pas comme une ennemie. Sibelius voit ces heures sombres avec grande peine, mais il les affronte courageusement, comme lors de la Première Guerre.

Jean Sibelius s’éteint finalement chez lui, dans sa chère maison et entouré de sa famille, le 20 septembre 1957, à 92 ans. Pour l’anniversaire de son centenaire, en 1965, Herbert von Karajan, grand partisan lui aussi du compositeur, réalise une tournée à Helsinki avec son orchestre de Berlin. Il se rend également à Ainola et dépose une gerbe de fleurs en s’inclinant sur la tombe du maître nordique. Laissons au maestro autrichien le mot de la fin : « Je me suis moi-même souvent demandé ce qui m’attirait dans la musique de Sibelius et je pense que cela tient à ce qu’il s’agit d’un compositeur que l’on ne peut véritablement comparer à personne d’autre. A sa manière, il fait penser à des blocs erratiques, plantés là , colossaux, d’un autre âge et dont personne ne sait comment ils sont apparus. »

VII. Une discographie Sibelius

S’il a mis du temps à s’imposer auprès du grand public et dans les salles de concert, Sibelius a été très bien servit par le disque. Les premiers enregistrements commencent dans les années 30, réalisés par de grands maitres, souvent amis avec Sibelius lui-même, ainsi notamment Sir Thomas Beecham. Il faut se rappeler que Sibelius vécu jusqu’en 1957, il put donc voir l’essor de l’enregistrement audio. Les enregistrements de ses symphonies par Herbert von Karajan à la tête du Philharmonia Orchestra l’impressionnèrent. Il écrivit à Walter Legge (époux d’Elizabeth Schwartkopf et producteur légendaire d’EMI) « Karajan est un grand maître ». Plus tard, l’une des filles du compositeur rapporta que son enregistrement préféré était celui de sa 6e Symphonie par Thomas Beecham (1947) et qu’il pensait qu’au sein de la génération suivante, Karajan était celui montrait le plus d’affinités pour sa musique. Sibelius eut la chance, tout comme son collègue symphoniste Gustav Mahler, d’etre défendu par les plus grands chefs. Leonard Bernstein et Herbert von Karajan furent de ceux-ci, tout comme les anglais John Barbirolli, Malcolm Sargent, Thomas Beecham et Colin Davis (Sibelius eu dès le début une forte popularité au Royaume Uni). On peut également distinguer une école d’interprétation « nordique » qui naquit avec Robert Kajanus, primus inter pares, et se poursuivit jusqu’à aujourd’hui avec notamment Paavo Berglund, Leif Segerstam, Osmö Vänskä, Esa-Pekka Salonen. Les russes ne sont pas en reste, Guennadi Rojdesvenski ayant signé une intégrale remarquée (et un concerto pour violon d’anthologie avec Oïstrakh) à la tête de l’orchestre au nom le plus long au monde (Grand Orchestre Symphonique de la Radio Télévision d’Etat de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques :p). Evgueni Mravinski et Kurt Sanderling (qui n’est pas à proprement parler russe.) ayant également Sibelius enregistré avec succès. L’œuvre de Sibelius étant essentiellement orchestrale, il n’y a encore que les violonistes à citer pour le Concerto pour violon, et on peut dire que le nombre de violoniste l’ayant enregistré (avec il est vrai une réussite variable) est proprement faramineux (c’est le concerto composé au XXe siècle le plus enregistré.)

À préciser encore, la présence inattendue du facétieux Glenn Gould parmi les interprètes privilégiés de la musique pour piano de Sibelius.

Le lecteur ici trouvera ici quelques pistes d’écoute, qui reflètent des approches parfois très diverses. A chacun de trouver ses préférences.

• Pour la découverte de l’univers de Sibelius
-En Saga, Tapiola, Finlandia, etc. Herbert von Karajan/ OP Berlin (EMI): excellente voie d’entrée, ce disque propose du très connu (Finlandia, Valse triste) et du plus difficile (Tapiola). Le « son Karajan » à son meilleur, avec un enregistrement époustouflant.

-Luonnotar, En Saga, etc. Antal Dorati/Malcolm Sargent/Alexander Gibson (EMI) : passé sont coté un peu « pot pourrit » ce double CD constitue une excellente initiation à l’univers de Sibelius, proposant des œuvres connues et moins connues, dans des interprétations de qualité (superbe Luonnotar chanté par Gwyneth Jones) ainsi que quelques mélodies avec piano.

-Finlandia, Tapiola, etc. Hans Rosbaud/ OP Berlin (DG) : programme quasiment identique au premier cd Karajan, mais approche radicalement différente. Spécialiste de la musique contemporaine, Rosbaud donne ici des interprétations rigoureuses, sobres, à l’opposée du style de Karajan.

-symphonie n°2, La Fille de Pohjola Sir Colin Davis/ LSO (LSO Live): Davis est à l’aise dans ce répertoire, et son sens de la polyphonie et de la clarté permettent de découvrir la symphonie la plus populaire de Sibelius.


• Symphonies
-intégrale : Leif Segerstam/OP Helsinki (Ondine) : superbe intégrale aux couleurs nordiques, Segerstam et son orchestre sont chez eux dans cette musique, et cela se sent. En prime, une bonne version du concerto pour violon et une version (rare et émouvante) de Finlandia avec chœurs. À ne pas confondre avec l’intégrale enregistrée par le même chef avec l’ON Danois (Brillant), moins inspirée.

-intégrale : Herbert von Karajan (EMI et DG). Au sein de la discographie, le maestro autrichien est une institution à lui tout seul. Il a enregistré chaque symphonie plusieurs fois (sauf curieusement, la 3e jamais) d’abord avec l’Orchestre Philharmonia (EMI), interprétations qui enthousiasmèrent Sibelius, puis avec « son » Philharmonique de Berlin (DG). Ces interprétations d’une force particulière sont disponibles dans de multiples disques, coffrets et rééditions chez les deux éditeurs favoris du maître.

-intégrale : Kurt Sanderling/OS Berlin (Brillant ou Berlin Classics) : excellentes versions disponibles à prix bas : idéal pour se lancer et découvrir l’intégrale des symphonies.

-symphonies n°1, 2, 5, 7 : Leonard Bernstein/OP Vienne (DG) : ce coffret splendide illustre idéalement de style tardif de Bernstein : tempos allongés et force tranquille (non, pas comme Mitterrand). Le Philarmonique de Vienne flamboyant n’est pas en reste.

-symphonie n°7: versions conseillées : Leif Segerstam (Ondine), Colin Davis (LSO Live), Evgueni Mravinski (non disponible en France à notre connaissance, cette version est pourtant à connaitre absolument, peut-être la plus saisissante de toute la discographie. Symphozik a toutefois trouvé pour vous une version disponible sur internet, écrivez nous un message, cela nous fera plaisir :p)

• Poèmes symphoniques :
-intégrale : Osmö Vänska/OS Lahti (Bis): excellent Sibelien, Vänskä dynamise son orchestre de Lahti aux sombres couleurs nordiques et réalise une intégrale d’anthologie.

-de nombreuses compilations des poèmes symphoniques de Sibelius existent, comprenant souvent la suite Karelia, intéressante partition de jeunesse, la Suite de Lemminkainen ou encore la Valse triste. Voir les disques conseillés pour la découverte, d’autres existent de Karajan chez DG. A conseiller également les enregistrements de Paavo Berglund à Helsinki (DG), le coffret de Neeme Järvi (DG toujours) ou encore le disque du jeune Bernstein à New York (Sony).

• Concerto pour violon Op. 47
œuvre à la discographie pléthorique, il existe maintes grandes versions du concerto. En voici quelques unes recommandables, connues ou moins connues, récente ou plus anciennes. Il en existe évidement bien d’autres excellentes.

-David Oïstrakh/Guennadi Rojdestvenski/OS RTV URSS (difficile à trouver...) : version classique portée par la puissance d’Oïstrakh et les sonorités russes de l’orchestre qui siéent admirablement bien à Sibelius. Néanmoins, son un peu ancien et orchestre pas irréprochable.

-Christian Ferras/Herbert von Karajan/OP Berlin (DG): la splendeur du « son Karajan » et du Philharmonique de Berlin associés à la sensibilité de Ferras : une version de référence.

-Leonidas Kavakos/Osmö Vänskä/OS de Lahti (BIS): version bien moins célèbre et pourtant d’une incroyable justesse de ton. Vänskä et « son » orchestre de Lahti, spécialistes de Sibelius, font merveille. A noter que ce disque propose en parallèle la version originale et la version finale du concerto, initiative salutaire qui permet de se rendre compte de l’évolution d’une partition sous la plume de son auteur.

-Hilary Hahn/Esa-Pekka Salonen/OS Radio Suédoise (DG): version « moderne » d’une virtuosité à couper le souffle, prenant le partit du brio instrumental et des tempos rapides. Une certaine froideur dans le style : tout le monde n’apprécie pas...

• La Tempête Op. 109
-Osmö Vänskä/OP Lathi (Bis) : l’un des seuls enregistrements intégraux de l’œuvre, idéale pour découvrir sa variété et sa puissance expressive.

• Kullervo Op. 7
-pour découvrir cette première percée de Sibelius en tant que symphoniste, écouter les enregistrements d’Osmö Vänskä (Bis) ou de Leif Segerstam (Ondine).

• Curiosités et chemins perdus
-Andante Festivo : Jean Sibelius/O Radio Finlandaise (Ondine) : ce disque qui proclame fièrement « Sibelius dirige Sibelius » recèle le seul enregistrement de sa musique fait par le compositeur. La prise de son, bien que datant de 1939, est honnête, et l’intérêt est plus que documentaire (si vous ne versez pas une petite larme.). En complément, diverses pièces orchestrales dans des interprétations récentes.

-récital de mélodies avec orchestre : Soile Isokoski/Leif Segerstam/OP Helsinki (Ondine) : excellent disque démontrant les talents de Sibelius pour l’écriture vocale, avec notamment l’incontournable Luonnotar.

-récital de mélodies : Kim Borg/Erik Werba (DG). Le label jaune a eu la très bonne idée de rééditer ce récital assez ancien de la grande basse finlandaise Kim Borg, par ailleurs dans une pochette et une présentation qui rappellerons de tendres souvenirs aux plus âgés d’entre nous (ce qui n’est pas le cas de votre serviteur). À noter, le vibrant hymne issu de Finlandia, enregistré en pleine guerre, est d’une émotion à couper le souffle (vraiment, si là vous ne pleurez pas...)

-toujours concernant Finlandia, œuvre ultra enregistrée, l’intégrale des symphonies de Leif Segerstam à Helsinki (Ondine) recèle une rare version avec chœurs d’homme (voir plus haut)
-enfin, en parlant de chœurs d’hommes, il existe une importante tradition nordique dans ce domaine. Le fameux chœur d’hommes YL, de l’Université d’Helsinki, s’est particulièrement illustré dans ce répertoire, que Sibelius a notamment fréquenté dans ses cantates. A découvrir, les disques d’Omsö Vänskä (Bis) ou de Paavo Järvi (Sony).

Bonnes (re)découvertes !

Ressources liées

Avez-vous bien lu ? (mini Q.C.M. sur le dossier)

Contenu lié : Plus de Q.C.M. - Jean Sibelius, le compositeur qui venait du froid

1) Combien de symphonies Sibelius a-t-il composées ?

2) De quelle épopée épique Sibelius tira-il nombre d’arguments de ses œuvres ?

3) La dernière œuvre de Sibelius, le poème symphonique Tapiola, évoque :

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