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Comment composent…les compositeurs ?

azerty (†), le 09/11/2013

Mystère de la création ! Quelle merveilleuse alchimie aboutit à la production d’un chef-d’œuvre : pure inspiration...ou travail acharné ? La vérité se trouve bien sûr entre les deux et varie selon les compositeurs. Quelques témoignages :

Jean-Philippe Rameau

« Je cherche à cacher l’art par l’art même. »

« Quand nous composons de la musique, ce n’est pas le temps de rappeler des règles qui pourraient tenir notre génie en esclavage... la force de ce génie, qui plie, maîtrise et modifie à son gré. »

Johann Sebastian Bach

« J’ai dû beaucoup m’appliquer ; quiconque s’appliquera de la même façon arrivera au même résultat. »

(extr. de Music Quotations)

Wolfgang Mozart

La merveilleuse facilité de Mozart est confirmée par ce propos, rapporté mais très vraisemblable :

« En voyage, par exemple, en voiture ou après un bon repas, en promenade, ou la nuit quand je ne peux pas dormir, c’est alors que les idées me viennent le mieux, qu’elles jaillissent en abondance. Celles qui me plaisent, je les garde en tête et sans doute je les fredonne à part moi, à en croire du moins les autres personnes. Lorsque j’ai tout cela bien en tête, le reste vient vite, une chose après l’autre, je vois où tel fragment pourrait être utilisé pour faire une composition du tout, suivant les règles du contrepoint, les timbres des divers instruments, etc. Mon âme alors s’échauffe, du moins quand je ne suis pas dérangé; l’idée grandit, je la développe, tout devient de plus en plus clair, et le morceau est vraiment presque achevé dans ma tête, même s’il est long, de sorte que je peux ensuite, d’un seul regard, le voir en esprit comme un beau tableau ou une belle sculpture ; je veux dire qu’en imagination je n’entends nullement les parties les unes après les autres dans l’ordre où elles devront se suivre, je les entends toutes ensemble à la fois. Instants délicieux ! Découverte et mise en oeuvre, tout se passe en moi comme dans un beau songe, très lucide. Mais le plus beau, c’est d’entendre ainsi tout à la fois. »

Ludwig van Beethoven

Au contraire de Mozart, Beethoven enfante dans la douleur. Il déclare à son ami Schlösser en 1823 :

« Je porte mes idées en moi longtemps, souvent très longtemps avant de les écrire. […] Je change beaucoup de choses, je rejette et j’essaie de nouveau autant qu’il le faut jusqu’à ce que je sois satisfait. Alors commence dans ma tête l’élaboration en largeur, en longueur, en hauteur et en profondeur, […] j’entends et je vois l’image dans tout son développement, elle se dresse devant mon esprit comme dans une coulée, et il ne me reste plus le travail que de la mettre par écrit […]. »

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Les lettres qu’il écrit à Mme van Meck sont de précieux témoignages :

« Il est vrai que souvent je commence à composer avec l’idée bien arrêtée d’utiliser tel ou tel chant populaire. Parfois, comme dans le finale de la Quatrième Symphonie, cela se fait malgré moi en quelque sorte... Pour ce qui est du caractère généralement russe de toute ma musique, de ses relations avec le folklore dans le domaine mélodique et harmonique, sachez simplement que, dès ma tendre enfance, je me suis imprégné de la miraculeuse beauté des chants populaires, si bien que j’aime passionnément chaque manifestation de l’âme russe, que je suis "un Russe à cent pour cent".

...

Le thème étant choisi, il faut l’harmoniser et l’orchestrer. Point de difficultés de ce côté-là : jamais la mélodie ne se présente à moi sans l’harmonie qui lui est propre. En règle générale, ces deux grands éléments (de même que le rythme) ne peuvent être conçus séparément : chaque idée thématique contient son harmonisation et son rythme. Lorsque les harmonies sont complexes, il convient de noter les voix sur l’ébauche ; quand elles sont simples, j’écris ou je chiffre la basse. Il arrive que je n’aie nul besoin de le faire : tout cela, je l’ai en tête ! ...

Et l’orchestration ne pose pas davantage de problèmes : vous me demandez quels sont mes procédés d’orchestration. Je n’ai pas de procédés, pour la bonne raison que je ne compose jamais dans l’abstrait : l’idée musicale s’offre à moi, revêtue de la forme qui lui sied. De la sorte, j’invente simultanément la mélodie et son instrumentation. Lorsque j’ai rédigé le scherzo de notre symphonie (c’est-à -dire la Quatrième), je l’ai pensé immédiatement tel que vous le connaissez. Il est impossible de l’imaginer autrement que pizzicato : joué avec l’archet, il perdrait tout son caractère... »

Achille Claude Debussy

« On attache trop d’importance à l’écriture musicale, à la formule et au métier ! On cherche ses idées en soi, alors qu’on devrait les chercher autour de soi. On combine, on construit, on imagine des thèmes qui veulent exprimer des idées ; on les développe, on les modifie à la rencontre d’autres thèmes qui représentent d’autres idées, on fait de la métaphysique, mais on ne fait pas de la musique. Celle-ci doit être enregistrée spontanément par l’oreille de l’auditeur sans qu’il ait besoin de chercher à découvrir des idées abstraites, dans les méandres d’un développement compliqué.

On n’écoute pas autour de soi les mille bruits de la nature, on ne guette pas assez cette musique si variée qu’elle nous offre avec tant d’abondance. Elle nous enveloppe, et nous avons vécu au milieu d’elle jusqu’à présent sans nous en apercevoir. Voilà selon moi la voie nouvelle. Mais croyez-le bien, je l’ai à peine entrevue car ce qui reste à faire est immense ! Et celui qui le fera... sera un grand homme ! (La musique d’aujourd’hui et celle de demain, in Comœdia, 4/11/1909)

Sergueï Sergueïevitch Prokofiev

Prokofiev ne se séparait jamais de son "cahier de thèmes", vaste réservoir de matériel mélodique, inépuisable car toujours renouvelé. Chez lui, la mélodie conditionne la recherche des rythmes, des harmonies et des timbres. Elle est donc à la source de la démarche compositionnelle.

Son extraordinaire invention mélodique explique cette primauté des thèmes. Volontiers traités à la façon de leitmotiv, ils sont le plus souvent courts, simples, diatoniques, rejoignant ainsi le caractère du folklore russe.

Igor Stravinski

À la source de beaucoup d’œuvres de Stravinski, il y a une vision. Voici celle qui inspira son ballet Petrouchka : « Un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel, à son tour, lui réplique par des fanfares menaçantes, une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxisme se termine par l’affaissement douloureux et plaintif du pauvre Pantin. » (écouter le début)

C’est aussi une vision qui se trouve à l’origine du Sacre du printemps : « J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps. » (écouter la fin)

À partir de là , le gros du travail pour Stravinski consiste essentiellement à organiser ses idées. Dans les Chroniques de ma vie, il déclare : « La musique est impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature. » Bien entendu, il y a de la provocation dans cette formule, mais elle marque bien son refus du pathos et sa recherche d’une expression claire et logique. Pour lui, la musique est destinée à « instituer un ordre dans les choses, y compris et surtout un ordre entre l’homme et le temps [...]. La construction faite, l’ordre atteint, tout est dit. »

Il connaît d’ailleurs bien le Picasso du cubisme dont on l’a souvent rapproché : n’a-t-on pas dit que Les Demoiselles d’Avignon (voir la reproduction) étaient le Sacre du Printemps de la peinture ? Une anecdote montre la proximité des deux hommes. En 1917, à la frontière Italie-Suisse, les bagages de Stravinski sont fouillés : « Qu’est-ce que ce dessin ? – Mon portrait par Picasso. – Impossible, c’est un plan ! – Oui, celui de mon visage. » Mais les douaniers restèrent persuadés que ce portrait aux lignes strictes cachait le relevé de quelque ouvrage militaire !

Ce souci de rigueur (qui s’exerce parfois au détriment de l’élément subjectif) on le constate même sur sa table de travail : bouteilles d’encres (noire, verte, rouge, bleue) soigneusement alignées, grattoirs de différents calibres, porte-plumes, tire-lignes (un pour les croches, un pour les doubles croches), sans oublier le « stravigor », instrument de son invention pour tracer les portées. Tout cela pour conduire méthodiquement la pensée vers l’élaboration d’une musique complexe mais précise, aux contours nets, dont la partition, véritable modèle de calligraphie, se veut l’image.

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