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Musique et politique

azerty (†), le 22/10/2021

En quoi la musique est-elle politique ?

Ce dossier interroge les différentes façons dont la musique s’inscrit dans le contexte politique et social, de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Il ne fait donc pas double emploi avec celui que nous avons consacré à la musique et la guerre. Il en est en quelque sorte le pendant pacifique.

Mais il faut d’abord poser une question : quelles sortes de relations peuvent entretenir deux domaines d’activité qui semblent aussi inconciliables que la musique et la politique ? Comment passer de l’une, qui cherche le plaisir de l’individu, à l’autre, plutôt dévolue au service de la société ? Certes (comme nous l’analysons au chapitre 2), la musique tient une place importante dans les sociétés. Mais son rôle sociologique peut-il déboucher sur un rôle politique ? Pour répondre à cette question, il faudrait déjà prouver que, seulement avec des sons (comme la peinture avec des images ou la littérature avec des mots), la musique a la capacité de communiquer un message politique. A priori, rien ne semble permettre un tel tour de passe-passe. Mais les hymnes nationaux n’appartiennent-ils pas à la sphère du politique ? Oui, si l’on retient ce qu’ils connotent : les espérances et les valeurs d’une nation. Non, si l’on ne tient pas compte des paroles. Ainsi, la Marseillaise, chant anonyme récupéré par Rouget de Lisle, a été revue récemment par Yannick Noah, pour prendre la forme d’une chanson reggae au rythme nonchalant (écouter). L’hymne national guerrier est ainsi devenu un appel à la fraternité.

Le processus inverse se constate avec le fameux hymne de Grande-Bretagne : le God Save the Queen. Avant de faire vibrer le cœur des Anglais, il fut un air de cour composé par Jean-Baptiste Lully pour fêter une opération réussie de l’anus royal. Un autre exemple montre comment il est facile de basculer d’une catégorie à l’autre : il concerne le fameux Ode à la joie qui illumine le finale de la Neuvième symphonie. À l’occasion du concert donné à Berlin le 25 décembre 1989 pour célébrer la chute du mur, Léonard Bernstein a fait chanter « Freiheit » (« liberté ») au lieu de « Freude » (« Joie »). Résultat : l’Ode à la joie est devenu un chant politique saluant le retour à la liberté pour les Berlinois de l’Est. 

Ce qui permet de tels allers-retours entre le musical et le politique, c’est que, si l’art des sons ne permet pas par lui-même de raconter quelque chose, on peut cependant, en s’appuyant sur les émotions et les sensations qu’il évoque ou suggère, lui faire dire ce que l’on veut. Il suffit pour cela de lui superposer des paroles (toute la musique vocale est là pour le confirmer) ou un argument littéraire (comme dans le ballet, le poème symphonique ou la musique à programme). On en trouvera de nombreux exemples dans notre dossier La musique a-t-elle un sens ? Pour n’en citer qu’un seul, on choisira celui, particulièrement représentatif, de Berlioz qui, lors de la création de la ″Symphonie Fantastique″ en 1830, rédige un programme détaillant les images qu’il désire suggérer aux auditeurs.

Il faut donc bien insister : la musique par elle-même évoque (des émotions, des sensations) mais n’exprime pas, ne communique pas ; elle suggère (des images, des récits) mais elle ne décrit pas, ne raconte pas. C’est sa dimension évocatrice qui la rend à la fois si convaincante et si adaptable à de multiples circonstances. C’est ainsi que le même hymne national aura, selon le contexte, bien des fonctions possibles : célébrer une victoire sportive, regrouper sous une même bannière les participants d’un meeting politique, symboliser les valeurs d’une nation lors d’une cérémonie officielle, faire marcher au combat durant une bataille, etc. Selon les circonstances, la musique a donc sur chacun des effets émotionnels mais aussi physiques indéniables : battre des mains, se trémousser en rythme, se recueillir en se refermant sur soi-même, marcher au pas, etc. Plus d’informations dans notre dossier L’expression musicale des émotions (à venir).

Il n’est donc pas étonnant que cette force évocatrice de la musique ait été instrumentalisée, comme nous le verrons dans le chapitre 3, pour servir une idéologie (système de valeurs politique, social ou religieux).

La place de la musique dans la société

Pour bien comprendre ce qui relie la musique et la politique, un petit détour par la sociologie est indispensable. L’étude des sociétés montre en effet la place essentielle que la musique y occupe. Depuis toujours en effet, parce qu’elle suscite le chant et la danse, la musique est l’indispensable accompagnement des circonstances les plus diverses : cérémonies religieuses ou païennes (mariages, enterrements, défilés, processions...), rituels incantatoires, activités quotidiennes (extérieures ou intérieures, privées ou publiques), divertissements (bals, banquets, concerts…), etc. Tout cela est détaillé dans notre dossier Pour une sociologie de la musique.

Toutes ces manifestations musicales s’inscrivent dans un ou plusieurs styles dominants propres à chaque époque. Et c’est là où le lien avec le politique s’établit car, selon l’idéologie du moment, la musique peut être plus ou moins l’objet d’une manipulation par le pouvoir. Le philosophe Christian Godin, dans la réflexion passionnante qu’il consacre à la musique, rapporte qu’en Chine, il y a « une correspondance entre la musique et l’ordre politique. La musique d’un État en décadence est sentimentale, morbide et corrompue ». D’où l’idée que, pour modifier la mentalité d’un peuple, il est fondamental d’intervenir sur sa musique. On en trouvera de nombreux exemples dans le chapitre suivant.

L’instrumentalisation de la musique, de l’Antiquité à nos jours

La musique étant supposée dotée d’un pouvoir à la fois physique et émotionnel sur les individus, on comprend qu’il ait semblé nécessaire aux autorités politiques ou morales du moment d’y mettre bon ordre en exploitant les effets de ce pouvoir ou en s’y opposant. L’origine de cette volonté de contrôle remonte à l’Antiquité. 

Durant l’Antiquité grecque et romaine

Platon, le premier, stigmatise le caractère amollissant d’un certain genre de musique. Il condamne aussi les créateurs qui cherchent à innover car ils sont porteurs d’un « esprit de révolution » nuisible à l’ordre social. C’est pourquoi, dans son grand dialogue intitulé La République, il chasse ces artistes de sa cité idéale. D’un autre côté, il prescrit les musiques qui incitent au courage et à la vertu. Cette voie sera suivie par son élève Aristote : pour les deux philosophes, la musique doit être mise au service de l’unité politique et de l’éducation du citoyen. Ayant le pouvoir de contribuer à former le caractère des jeunes gens et à leur faire mener une existence sage, elle est porteuse d’une fonction éducative essentielle au développement harmonieux de la Cité (lire nos chapitres consacrés à Platon et à Aristote).

À Rome, Néron (37-68) offre l’exemple rare d’un Empereur qui consacre toute sa vie à la pratique musicale et théâtrale. Il fait de son art un élément indissociable de sa politique, en voulant être reconnu comme un grand musicien et un grand dirigeant. Malheureusement, s’il a beaucoup travaillé le chant et la lyre pour acquérir un bon niveau professionnel, il a peu à peu entraîné son pays dans la décadence. Débauché et s’entourant de conseillers incompétents, il devient un despote mégalomane et violent. De plus en plus détesté par le peuple, malgré les manifestations sportives et artistiques grandioses qu’il organise à sa gloire (et auxquelles il se donne en spectacle), il sera finalement contraint au suicide. Il reste connu pour avoir assassiné sa mère Agrippine, et arbitrairement martyrisé les chrétiens. Peut-être aussi a-t-il été à l’origine du grand incendie qui a détruit une grande partie de Rome (et lui a permis comme par hasard de construire sa magnifique villa).


Musiciens sur une fresque découverte à Pompéi

Au Moyen Âge (du VIe au XIVe siècles)

Après la chute de l’Empire romain en 476, c’est un tout autre climat musical qui règne sur l’Europe. Les grandes invasions ont installé une période d’instabilité politique qui ne cessera vraiment qu’avec le règne de Charlemagne (vers 744-814). Celui-ci, pour remettre de l’ordre dans son empire et affermir son pouvoir grâce au soutien des autorités religieuses, pousse à l’unification du chant liturgique chrétien sur tout le territoire : les rites sont donc fixés et, pour éviter toute contamination, les chants sont inscrits dans des antiphonaires (premiers exemples de partitions). Les évêques substituent aux traditions locales gallicanes un chant romain épuré. L’élan est ainsi donné pour plusieurs siècles à une musique d’église austère, monodique, a cappella, aux lignes simples, appelée aussi chant grégorien. Elle est caractérisée par d’amples mélodies, dont le rythme et les contours mélodiques sont étroitement liés aux inflexions de la parole (écouter un Agnus Dei).

À côté de l’austère chant d’église, coexiste une musique profane beaucoup plus avenante : des instruments accompagnent les danses et les chansons, vives (écouter une Ductie) ou langoureuses (écouter une Plainte). Tout cela n’est évidemment pas du goût de l’Eglise qui, à défaut de condamner leurs auteurs (les troubadours sont protégés car ils appartiennent à la noblesse), voue aux enfers leurs interprètes (qui sont de basse extraction) : « Un ménestrel peut-il prétendre à la vie éternelle ? Certainement pas, car ce sont les ministres du Diable » (dixit un évêque du XIIe siècle). Pour l’Église, la musique doit être au service de l’éducation de la foi et toute audace est exclue car perçue comme un danger. C’est ainsi que l’Ars Nova est condamnée par Jean XXII en 1322 parce que la complexité du nouveau style musical ne peut que perturber les fidèles : comment par exemple ne pas trouver bizarre ce Hoquet David, pièce instrumentale à trois voix composée par Guillaume de Machaut dans les années 1360 (écouter) ?

Durant la Renaissance (XVe et XVIe siècles)

Le XVe siècle est l’une de ces périodes où le contexte politique a fortement pesé sur le cours de la musique. Le conflit qui oppose l’Angleterre et la France, qu’on nomma guerre de cent ans, a des conséquences profondes. Dans un pays ravagé, la France perd la place essentielle qu’elle a si longtemps tenue, au profit du goût anglais qui, tout en tirant les bénéfices de l’Ars Nova, penche pour un art plus simple et plus harmonieux. Un grand musicien anglais, John Dunstable (c.1390-1453) suit son protecteur, le Duc de Bedford, qui est désigné régent du royaume de France. Son œuvre s’éloigne de l’Ars Nova par sa polyphonie équilibrée et sa grande souplesse mélodique (écouter le motet Quam pulchra es). D’autre part, les foyers musicaux se déplacent vers les régions restées prospères et pacifiques : la Bourgogne et la Flandre. Il s’y développe ce qu’il est convenu d’appeler l’École Franco Flamande

Il est loin le temps où la musique était dominée par l’Eglise. Au XVIe siècle, elle est maintenant tout entière dévolue au plaisir de la classe aisée. Les monarques du moment en font l’un des principaux ornements de leur règne. C’est ainsi que François Ier organise de somptueuses fêtes de cour pour éblouir ses rivaux. Les succès de ses campagnes d’Italie sont fêtés par la célèbre fresque musicale, La bataille de Marignan, composée par Clément Janequin (1485-1558) : écouter le début. Sous des dehors volontiers malicieux, la riche chanson polyphonique française, éclipsant le madrigal italien, exporte partout en Europe les valeurs nationales de tolérance, d’élégance, d’humanisme et de raffinement (n’oublions pas que nous sommes au siècle de Rabelais, de Montaigne et des châteaux de la Loire). Pour illustrer cet esprit français de la Renaissance, voici Mignonne allons voir si la rose, de Guillaume Costeley, sur un poème de Ronsard (écouter).

Durant la période baroque (1600-1750)

À la fin XVIIe siècle, on ne peut trouver meilleur exemple de musicien servant la politique de son protecteur que celui de Jean-Baptiste Lully au service de Louis XIV. Pour soumettre la noblesse française à son autorité, le monarque organise la vie de cour autour de sa personne. Chacun des actes de la journée royale est rythmé par la musique : son lever, ses repas, son coucher, et bien entendu ses divertissements, notamment les ballets où le jeune roi, danseur passionné, s’attribue le premier rôle (écouter un extrait d’Alcibiade). De même, tous les grands moments de la vie politique du royaume sont l’occasion de compositions musicales : les campagnes militaires, les réceptions diplomatiques, les naissances et les décès, etc. 

Nous sommes d’ailleurs à une époque où le musicien, entièrement dépendant de son employeur, compose sur commande au gré des besoins privés ou publics de celui-ci : Georg Friedrich Haendel pour le roi George Ier, Johann Sebastian Bach pour la ville de Leipzig, Domenico Scarlatti pour le roi d’Espagne, Johann Joachim Quantz et Carl Philipp Emanuel Bach pour Frédéric II de Prusse, etc.

Durant les périodes classique et préromantique (1750-1830)

Wolfgang Mozart est le premier compositeur connu qui ose claquer la porte à son protecteur, l’arrogant archevêque Colloredo. Désormais, ce sont leurs propres convictions politiques que les compositeurs affirmeront dans leur musique. Mozart quant à lui cherche surtout à faire de la bonne musique. Pour ses opéras, c’est la qualité des livrets qui guide ses choix, quitte à déplaire au pouvoir en place. Dans Le Nozze di Figaro (d’après une pièce de Beaumarchais interdite en Autriche), il n’hésite pas à tourner en ridicule un Comte trop entreprenant et fait chanter à son héros, simple valet : Si Monsieur le Comte veut danser … je ruinerai toutes ses machinations » (écouter).

Le jeune Ludwig van Beethoven a des idées révolutionnaires. C’est pourquoi, quand le premier consul Bonaparte arrive au pouvoir en tant que garant des idéaux de la révolution française, il décide de lui dédier sa Symphonie n° 3 « héroïque » (1804). Mais, sa symphonie presque  terminée, il apprend que Bonaparte s’est fait sacrer Empereur sous le nom de Napoléon 1er. Il rature alors la première page avec une telle rage qu’il brise sa plume et transperce le papier. Plus tard, lorsque l’œuvre est publiée, il y inscrit le titre Symphonie Héroïque, composée en mémoire d’un grand homme. Et la marche funèbre du second mouvement résonne comme le glas d’une espérance perdue (écouter un extrait). Quand plus tard l’Empereur subira ses premières défaites, le compositeur les célébrera dans un poème symphonique spectaculaire, La Victoire de Wellington (1813 : écouter un extrait).

Durant les périodes romantique et post-romantique (1830-1900)

Au contraire de Beethoven, Hector Berlioz est demeuré toute sa vie un ardent bonapartiste et un soutien des deux empires successifs (Napoléon Ier et Napoléon III). En hommage à la mémoire des hommes illustres morts pour la Nation, il compose la Symphonie funèbre et triomphale (1840 : écouter le début). Son orchestration de La Marseillaise est aussi restée célèbre (1830 : écouter).

Hector Berlioz a aussi été, avec son ami Franz Liszt, à l’origine du grand mouvement nationaliste qui a secoué toute l’Europe musicale à partir de 1850. Son séjour en Russie a été le point de départ de ce qu’il est convenu d’appeler « les écoles nationales ». Les œuvres inspirées par ce mouvement sont marquées par l’expression des caractères d’un peuple : recherche des racines, inspiration du folklore, peinture des paysages. Ce phénomène a été particulièrement sensible dans la Russie du Groupe des Cinq (où il a démarré), mais aussi dans la Tchécoslovaquie de Bedrich Smetana et Antonin Dvořák, la Norvège d’Edvard Grieg, la Finlande de Jean Julius Christian Sibelius, l’Espagne d’ Isaac Albéniz, etc.

Dans l’Italie du Risorgimento , le compositeur Giuseppe Verdi est totalement associé aux événements qui transforment politiquement son pays. Son nom même devient un appel à la résistance contre l’Autriche. C’est aussi pour des raisons politiques que son opéra Nabucco, représenté à la Scala de Milan le 9 mars 1842, connaît un immense succès. Il évoque le destin des juifs, opprimés par Nabuchodonosor à Babylone (écouter le Chœur des esclaves). Les Milanais, alors sous occupation autrichienne, ne tardent pas à s’identifier aux malheureux Hébreux. L’opéra est alors compris comme l’appel d’un peuple pour son indépendance avec, comme point culminant, le fameux « Va, pensiero  », véritable hymne à la liberté. Ce chœur, connu de tous les Italiens, continuera d’être chanté comme signe de protestation et de ralliement dans toutes les circonstances difficiles subies par le pays. 

Durant la période moderne (1890-1940)

Le conflit franco-allemand du début du siècle oblige la plupart des compositeurs à prendre position pour l’un ou l’autre camp. En France, en 1916, on voit la création de la Ligue nationale pour la défense de la musique française. Tandis qu’Achille Claude Debussy sombre dans un nationalisme cocardier, Maurice Ravel s’oppose courageusement aux positions extrêmes de la Ligue en refusant de confondre défense de la patrie avec interdiction de la musique étrangère . Il n’en est pas moins patriote et, bien que réformé, il parvient à participer à la guerre (il sera même blessé).

En Russie, la Révolution de 1917 ouvre une période instable qui contraint la plupart des compositeurs, bien que favorables aux nouvelles forces, à prendre du champ pour retrouver des conditions de travail favorables. Sergueï Sergueïevitch Prokofiev voyage notamment au Japon, aux États-Unis, et finalement s’établit en France. Igor Stravinski n’a pas attendu la chute du tsarisme pour goûter aux charmes de la France où, avec les ballets russes, il présente ses premiers chefs-d’œuvre, notamment Le Sacre du Printemps (1913), qui lui apportera une renommée internationale. En quittant son pays le 23 décembre 1917, Sergueï Rachmaninov vit un déchirement qui le poursuivra toute mon existence. Il s’arrête même de composer pendant dix ans [un peu comme moi avec mes mises à jour sur Symphozik, en voilà une excuse qu’elle est bonne, NDLR], vivant de sa carrière de pianiste virtuose.

Pour tous ces compositeurs, l’exil n’est que provisoire : ils attendent beaucoup du nouveau régime. Leurs espoirs seront bien déçus avec la reprise en main des artistes par Staline dans les années 1930. Seul Prokofiev cherchera à retrouver une place dans son pays devenu soviétique. Mais il devra pour cela faire bien des concessions.

Durant la période contemporaine (1940 jusqu’à aujourd’hui)

Pendant les dictatures d’Hitler et de Staline, les effets dévastateurs d’une politique culturelle sectaire atteignent un sommet. 

Les nazis inventent l’idée de « musique dégénérée » pour condamner les compositeurs juifs (Felix Mendelssohn-Bartholdy, Gustav Mahler…) mais aussi toute forme de musique qui ne possède pas un caractère véritablement "allemand" (Alban Berg, Paul Hindemith…). Par contre, ils s’approprient Ludwig van Beethoven ou Richard Wagner pour sonoriser les grandes cérémonies du Reich. Leur politique musicale vise aussi à recueillir l’héritage folklorique, à favoriser l’éclosion d’une musique  « claire, ardente et disciplinée » et à produire une histoire musicale mettant en avant la supériorité de la culture germanique.

Le totalitarisme soviétique n’est pas en reste pour exercer un contrôle sur la création musicale. Prokofiev et Dimitri Chostakovitch en ont fait les frais et ils ont dû déployer tout leur génie pour rester authentiques malgré les contraintes imposées par le jdanovisme officiel. 

Il n’y a pas que dans les régimes totalitaires que la musique contemporaine a du mal à trouver sa place pour des raisons non strictement musicales. On peut donner l’exemple des Trois petites liturgies de la présence divine (1944) d’Olivier Messiaen. Lors de la création, le compositeur fut accusé de blasphème pour avoir osé exprimer des sentiments chrétiens avec des superpositions modales inouïes ; en outre (le coquin !) il avait intégré dans une musique liturgique occidentale des références à des musiques extrême-orientales et à des chants d’oiseaux (écouter le début). 

Conclusion

Comme on vient de le constater, les chemins de la musique et de la politique se sont souvent croisés et ce, à toutes les époques. Considérée comme possible instrument de pouvoir, en raison des effets à la fois physiques et émotionnels qu’elle produit sur les individus, elle a été mise au pas pour servir les intérêts des autorités politiques ou morales du moment. Mais elle s’est parfois retournée contre ces autorités pour appuyer les forces d’opposition. C’est ce qui s’est passé pour une œuvre importante de Léonard Bernstein : son spectacle Mass (1971). Cette œuvre imposante, en forme de messe, pour chanteurs, acteurs et danseurs, devait inaugurer le grand centre culturel John Kennedy à Washington (écouter le début). Mais, au moment de sa création, de plus en plus de voix s’élevaient contre la guerre du Vietnam et l’œuvre de Bernstein, message de paix et d’espoir, a vite pris un sens politique en rejoignant les protestations des opposants à un conflit absurde qui s’enlisait.

Un homme qui ne se savait pas si dangereux

Cela faisait un moment que Bernstein était surveillé par le FBI en raison des positions pacifistes qu’il affichait au grand jour. Mais il est carrément soupçonné de collaborer à un acte subversif quand il termine la partition de Mass. Il a en effet travaillé sur le livret avec son ami Daniel Berrigan, poète anarchiste qui a fait de la prison. Le FBI conseille donc au Président Nixon de boycotter la première de l’œuvre (à l’occasion de l’inauguration du John Kennedy Center) car il risquerait d’approuver à son insu une messe en latin au texte sulfureux (paranoïa, quand tu nous tiens…). Le lendemain, l’entourage présidentiel s’arrange pour qu’une critique négative paraisse dans le New York Times, mais ça n’empêche pas que l’œuvre soit plébiscitée par le public !

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