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Symphonie concertante ou concerto grosso ?

azerty (†), le 18/07/2017

De subtiles différences

On connaît la symphonie… on connaît le concerto… mais que sait-on de la symphonie concertante ? C’est une forme musicale née à l’époque classique qui fait dialoguer quelques instruments avec le gros de l’orchestre, à l’image du Concerto grosso. Mais il faut d’emblée le distinguer de celui-ci car dans le Concerto grosso, le groupe d’instruments (appelé concertino) fait bande à part des autres instruments (qui forment le ripieno accompagné du continuo, ou basse continue). D’ailleurs, comme on peut le voir sur la partition ci-dessous (Concerto grosso op. 6 n° 8 écrit vers 1700 par Arcangelo Corelli), la partie du concertino est écrite sur des portées bien distinctes de celles du ripieno et du continuo : en fait, l’orchestre est divisé en trois. Ce n’est pas le cas pour la Symphonie concertante K. 364 (1779) de Wolfgang Mozart où les portées du violon et de l’alto solistes sont intégrées dans celles de tout l’orchestre. Voir ci-dessous :


Concerto grosso op. 6 n° 8, pour la nuit de Noël, de Corelli


Symphonie concertante K. 364 de Mozart

Ce que l’on constate sur les partitions se traduit dans la musique car, comme on peut l’entendre (en tendant bien l’oreille) dans l’œuvre de Corelli, c’est le groupe entier du concertino (2 violons et 1 violoncelle) qui dialogue avec le reste des cordes (écouter), alors que, dans celle de Mozart, le violon et l’alto ne jouent pas seulement en duo mais se comportent, chacun à leur tour, en véritables solistes (écouter). C’est d’ailleurs pour entendre briller leurs virtuoses préférés que les auditeurs de l’époque appréciaient la symphonie concertante.

Le concerto grosso

Le concerto grosso est une forme musicale typique de la période baroque. L’appellation apparaît vers 1670 chez Alessandro Stradella mais c’est Corelli qui lui donne ses lettres de noblesse avec ses 12 concertos grossos op. 6 (vers 1700). Le genre rencontrera un franc succès en Italie (bien sûr puisque c’est là qu’il est né !), en Angleterre avec Georg Friedrich Haendel et ses 12 concertos grossos de l’opus 6 (1739 : écouter le mvt 2 du n°12), et même en Allemagne où Johann Sebastian Bach, avec ses célèbres Concertos brandebourgeois prend quelques libertés avec le modèle italien : le concertino du cinquième, composé d’une flûte, d’un violon et d’un clavecin, fait la part belle à ce dernier qui en devient presque le soliste unique (écouter un extrait). Curieusement, le concerto grosso n’aura aucune retombée en France qui lui préférera la symphonie concertante comme on le verra plus loin.

Comme on l’a indiqué précédemment, le concerto grosso, habituellement écrit pour une douzaine d’instruments à cordes et un clavecin , fait dialoguer le concertino (généralement 2 violons et 1 violoncelle) avec le ripieno (reste des cordes) soutenu par le continuo (violoncelle et clavecin), ou bien se mêle à tous les instruments dans les passages en tutti (rassemblant tout l’orchestre). Il ne survivra pas à la fin de la période baroque mais aura auparavant donné naissance au concerto de soliste, encore en pleine forme aujourd’hui : voir notre dossier sur le concerto.

Au XXe siècle

Éclipsé durant près de deux siècles, le concerto grosso intéresse à nouveau quelques compositeurs du XXe qui, versant dans le néoclassicisme ambiant, cherchent leur inspiration dans la musique ancienne. On retiendra surtout celui d’Ernest Bloch pour cordes et piano (1925 : écouter le début), ceux de Bohuslav Martinů, notamment son Double concerto pour cordes, piano et timbales (1938 : écouter le début), ainsi que, d’Igor Stravinski, le curieux Dumbarton Oaks Concerto (1938 : écouter le début).

La symphonie concertante

La symphonie concertante naît du mariage improbable entre la symphonie et le concerto. Elle survient vers 1770 alors que ces deux genres ont déjà passé la cinquantaine. Une union tardive donc, surtout célébrée à Paris, Londres et Mannheim, mais une union extrêmement féconde qui durera un demi-siècle. C’est une forme concertante car elle est écrite pour un ou plusieurs instruments solistes qui se font entendre tour à tour au sein de l’orchestre ; mais c’est aussi une forme symphonique car les parties du ou des solistes ne sont pas en opposition ou en conflit avec l’orchestre, de sorte que l’œuvre "sonne" comme une symphonie avec des passages solo.

Se sont notamment illustrés dans ce genre Johann Christian Bach à Londres, Carl Stamitz à Mannheim et de nombreux compositeurs à Paris dont un certain Giuseppe Maria Cambini qui en compose plus de 80 (écouter un exemple). Quand, en 1778, Mozart passe à Paris, il veut plaire au public et lui dédie sa symphonie concertante avec hautbois, clarinette, cor et basson (1778 : rechercher sur Youtube). Elle ne sera malheureusement jamais interprétée (jalousie des compositeurs en place ?) ni publiée. Il faut croire cependant que le genre lui plaisait car, rentré à Salzbourg, il composera celle avec violon et alto (K. 394) déjà citée précédemment. Quant à Joseph Haydn, il travaillait pour la cours des Estherazy où l’on appréciait peu la symphonie concertante. Le père de la symphonie n’en a donc écrit qu’une (et encore à la va-vite), quand il s’est rendu à Londres à la fin de sa vie : elle porte le n° 105 et met en valeur le hautbois, le violon, le basson et le violoncelle (1792 : écouter). C’est dans cette lignée que s’inscriront les doubles et triples concertos suivants, notamment le Triple Concerto (violon, violoncelle et piano) composé par Ludwig van Beethoven en 1803-1804 (écouter un extrait) ou le Double concerto (violon et violoncelle) composé par Johannes Brahms en 1887 (écouter un extrait).

Mais avec ces deux derniers exemples, nous sommes loin du style plaisant, dit style galant, qui caractérise la symphonie concertante (conformément au goût dominant du public). On constate ainsi que, sur les 570 œuvres de ce genre patiemment recensées par un musicologue américain, il n’en existe que deux en mode mineur ! Pour retrouver cette légèreté de ton, propre à l’esprit français de l’époque, il faut enjamber le pathos romantique et rejoindre directement la fin du XIXe siècle. On y trouve à nouveau des symphonies concertantes comme : la Symphonie espagnole d’Édouard Lalo (1874 : écouter un extrait), la Symphonie nº 3 avec orgue de Camille Saint-Saëns (1886 : écouter un extrait) et la Symphonie cévenole de Vincent d’Indy (1886 : écouter un extrait). On pourrait rattacher au même genre symphonique, avec instrument(s) soliste(s) obligé(s), des œuvres comme le Prélude à l’après-midi d’un faune d’Achille Claude Debussy (1894 : écouter le début).

Le concerto… pour orchestre

En fait, de nombreux compositeurs modernes préfèrent, au concerto grosso ou à la symphonie concertante, la forme hybride du Concerto pour orchestre qui est plus en rapport avec l’excellence des orchestres modernes où tous les instruments sont des virtuoses en puissance. Le concerto pour orchestre met en effet en valeur tous les instruments en les traitant tour à tour comme des solistes : le plus célèbre est l’éblouissant Concerto pour orchestre de Béla Bartók (1943 : écouter un extrait). Mais en fait, toutes les œuvres d’orchestrateurs hors-pair comme Debussy, Ravel ou Stravinski sont des sortes de concertos pour orchestre qui font briller de mille feux les couleurs d’un orchestre virtuose. Voir notre dossier Instruments au sein de l’orchestre.

Concerto, symphonie ou simplement musique ?

S’il existe encore quelques concertos grossos au XXe siècle (Bloch, Martinu, Stravinski…), la symphonie concertante semble avoir complètement disparu du paysage. Il faut dire que les instruments à vent ont bénéficié de spectaculaires améliorations depuis les années 1820 et que les procédés d’orchestration n’ont cessé de progresser depuis le Grand traité d’instrumentation publié en 1844 par Hector Berlioz ; en conséquence, chaque instrument est de plus en plus entendu en solo alors que les grandes formes traditionnelles traitaient l’orchestre par masses. C’est peut-être aussi pourquoi on a vu apparaître depuis le milieu du XIXe siècle toutes sortes de formes révélant un traitement plus pointilliste de l’orchestre : poème symphonique, fantaisie, balade et autres rhapsodies... Pourtant parmi toutes les formes et tous les genres de musique existants, il arrive que le compositeur ne trouve pas son bonheur. Alors, s’il ne veut pas donner à sa composition un titre original, il n’a plus d’autre choix que de l’intituler sa composition tout simplement "musique". Un exemple connu nous en est fourni par Bartok avec sa Musique pour cordes, percussion et célesta (1936 : écouter un extrait).

Petite blague pour terminer

Un jeune compositeur hésite sur l’intitulé de sa première œuvre : « symphonie concertante » ou « concerto grosso » ? Il la présente à un confrère chevronné qui la consulte rapidement, passablement agacé.
- Maître, je ne veux pas abuser de votre temps, s’excuse le jeune homme. Pourriez-vous au moins me dire comment l’appeler ?
- Je vois qu’il n’y a pas de tambour dans votre œuvre ?
- Non maître.
- Je vois qu’il n’y a pas non plus de trompette ?
- Non maître.
- Et bien appelez-la « Sans tambour ni trompette » !

Ressources liées

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