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Le Lied et la mélodie

azerty (†), le 12/10/2017

Préambule

Camille Saint-Saëns écrit dans Harmonie et mélodie (Paris, 1896, p. 264) : « Puissent la musique et la poésie comprendre un jour quel intérêt elles ont à s’appuyer l’une sur l’autre ! Puissent les poètes apprendre la musique et les musiciens étudier la poésie ! Ils ont tout à gagner. Les musiciens doivent se pénétrer de cette vérité qu’un beau vers ne saurait être un simple prétexte à musique ; c’est un diamant que le musicien doit monter de son mieux, pour le mettre dans tout son jour. Quant aux poètes, ils s’apercevront un jour que la musique rend possibles toutes sortes de combinaisons qui leur sont interdites sans elle. »

Mais qu’est-ce que la poésie ? À quatre siècles de distance, les auteurs ci-dessous se rencontrent pour définir la poésie comme un mode d’expression qui, en jouant sur nos sensations et nos émotions, nous déstabilise et nous entraîne vers un ailleurs.

- « Sache lecteur, que celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir, aimer, haïr, admirer, étonner, bref qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ça et là à son plaisir. » (Joachim Du Bellay, 1522-1560).

- « Lorsqu’un poème, ou simplement un vers, provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve, ou au contraire le contraint à descendre en lui plus profondément jusqu’à le confronter avec l’être et le destin, à ces signes se reconnaît la réussite poétique. » (Georges Pompidou, ”Anthologie de la poésie française”).

Pour découvrir une sélection de poèmes mis en musique, ouvrir notre dossier Musique et poésie.

Un peu d’histoire

Des liens étroits ont toujours unis la musique et la poésie.

Dans l’Antiquité, les poèmes étaient chantés par des aèdes qui s’accompagnaient sur une lyre comme le montre l’image ci-contre, d’après un vase grec.

Dans le monde celte du haut Moyen Âge, c’est le barde qui remplit ce rôle.

Poètes lyre antiquité

Pendant la période de l’Europe féodale, ce sont les troubadours et les trouvères qui agrémentent les loisirs d’une société plus policée : voir notre dossier sur la musique profane au Moyen Âge. Leurs équivalents germaniques sont les minnesänger puis les meistersinger qui prolongent la tradition du poème chanté jusqu’au XVIe siècle.

Par contre, dans la France des XVe et XVIe siècles, la chanson emprunte un style polyphonique (écouter un exemple) : voir notamment Josquin des Prés, Clément Janequin et Roland de Lassus. Il en est de même pour le madrigal italien : voir notamment Carlo Gesualdo et Claudio Monteverdi à ses débuts. À la fin du XVIe siècle, l’écriture musicale évolue vers la monodie accompagnée, style qui sera désormais adopté pour traduire la poésie par le chant. Jehan Chardavoine nous en offre un exemple avec Mignonne, allons voir si la rose, extraite de son Recueil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville (1576), qui est le premier du genre (écouter).

Durant la période baroque (1600-1750), c’est l’air de cour, descendant de la chanson dite "voix de ville", qui domine en France. Il est en général écrit pour voix et luth, et présente une mélodie et une mesure simples. Il prendra graduellement toutes les caractéristiques d’une musique savante avec des compositeurs comme Michel Lambert (écouter Ombre de mon âmant). En Italie, le madrigal adopte lui aussi la forme de la monodie accompagnée : par exemple, le ballet Tirsi Clori (extrait du 7ème livre de madrigaux) de Claudio Monteverdi, comprend plusieurs airs pour une voix seule accompagnée de la basse continue (écouter les 2 premiers).

L’influence du chant italien se répand partout en Europe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle avec ses vocalises ornementées : dans toutes les cours princières on invite des compositeurs italiens (comme Antonio Salieri à Vienne) et l’italien devient la langue privilégiée pour la musique vocale (de là vient l’usage des mots italiens dans la musique : adagio, presto, etc.). Cependant, quelques compositeurs résistent. C’est ainsi que Joseph Haydn et surtout Wolfgang Mozart composent les premiers Lieder en allemand (écouter Das Lied der Trennung). En France, le milieu du XVIIIe siècle voit se développer la romance, qui atteint son apogée sous la Révolution et l’Empire (1789 à 1814). Ce dernier genre, l’un caractère aimable et galant, est proche de la chanson à couplet. Il décline peu à peu sous la Restauration (1814 à 1848).

On arrive donc au XIXe siècle qui voit le développement spectaculaire du Lied germanique et de la mélodie française.

Le Lied

Le Lied est un chant typiquement germanique pour une voix accompagnée par un piano (le plus souvent) ou un ensemble instrumental. D’origine populaire, c’est à partir de 1530 que l’on trouve des Lieder à une seule voix, de forme strophique (alternance couplet/refrain) et qui ressemblent à la canzonetta italienne, tout en gardant un texte en allemand. Le fait que l’on utilise le terme allemand Liedsouligne bien l’importance qu’a eu ce genre en Allemagne et en Autriche. Bien que l’on connaisse quelques leaders (Lieder) de Haydn et Mozart (rechercher sur YouTube), c’est Ludwig van Beethoven (rechercher sur YouTube) et surtout Franz Schubert (rechercher sur Youtube) qui lui donnent ses lettres de noblesse au début du XIXe siècle, Ce dernier en compose près de 600 dont le premier, Gretchen am Spinnrade (Jeune fille au rouet), composé à 17 ans, est un coup de maître (écouter).

Après Schubert, les compositeurs de Lieder célèbres, sont notamment : Robert Schumann, Johannes Brahms, Hugo Wolff et Gustav Mahler. Au XXe siècle, les Gurre-Lieder (1900-1913) d’Arnold Schönberg, qui totalisent presque deux heures de musique, monopolisent un orchestre gigantesque. Il faut aussi signaler ceux de son élève Alban Berg ainsi que ceux de Richard Strauss dont les Quatre Derniers Lieder, bien que tardifs (1948), sont d’une écriture beaucoup plus classique (écouter le premier). Du point de vue de la forme, le Lied suit la structure du poème : trophique ou à composition continue (la musique se renouvelle à chaque strophe).

La mélodie

Au XIXe siècle, la mélodie est l’équivalent français du Lied. Elle s’en différencie cependant sur deux points. Elle est plus tardive d’une cinquantaine d’années et se présente dès le départ comme un genre savant. On s’accorde à considérer Les Nuits d’été (1841) d’Hector Berlioz comme le premier exemple de ce genre (écouter sur YouTube). De nombreuses mélodies sont composées dans la mouvance de l’Orientalisme ambiant (Saint-Saëns, Georges Bizet, Maurice Ravel…). Le genre est porté à son apogée avec Gabriel Fauré, Henri Duparc, Achille Claude Debussy et, plus près de nous, Francis Poulenc (rechercher sur Youtube).

La mélodie pour voix et piano (parfois pour voix et orchestre) se développe de manière autonome. Le poème est le point de départ du compositeur qui est particulièrement attentif à son caractère et à sa prosodie. La mélodie se distingue par l’extrême raffinement de sa courbe vocale, de ses rythmes et de ses harmonies. Comme le Lied, elle réclame des interprètes avec une diction irréprochable, une voix très souple, plus confidentielle qu’à l’opéra, et donc s’y faisant moins forte pour exprimer sans emphase les subtils sentiments sous-tendus par l’œuvre. Le genre étant dès l’origine fait pour le salon plutôt que pour de très grandes salles, leurs interprètes s’y sont souvent spécialisés.

Le saviez-vous ?

L’expression art song correspond en anglais aux mélodies et aux Lieder.

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